— Alors, quelles sont les nouvelles ? demanda Tass d’un ton enjoué quand Laurana arriva près d’eux.
Elle leur sourit, mais comme avait dit Flint, ce n’était plus l’expression innocente avec laquelle elle les avait accueillis sous les peupliers du Qualinesti, mais un sourire semblable à un rayon de soleil hivernal, qui éclairait mais ne réchauffait pas, peut-être parce qu’il manquait dans ses yeux l’étincelle pour l’enflammer.
— Je suis nommée commandant de l’armée, dit-elle d’un ton plat.
— Félicitations…, commença Tass d’une voix qui s’éteignit devant le visage morne de Laurana.
— Il n’y a pas de quoi, répliqua-t-elle avec amertume. Je commande qui ? Une poignée de chevaliers cantonnés dans un bastion en ruine perdu dans les montagnes, et un millier d’hommes postés sur les remparts de la ville. Nous devrions être loin ! Les armées draconiennes sont en train de se regrouper ! Nous pourrions les vaincre facilement. Mais nous n’osons pas nous risquer dans les steppes, même avec les Lancedragons. À quoi servent-elles contre des cracheurs de feu qui volent ? Si seulement nous avions un orbe draconien…
Après un moment de silence, elle poussa un soupir puis dit d’un ton sec :
— Nous n’en avons pas, soit. N’y pensons plus. Nous allons donc attendre sur les remparts de Palanthas jusqu’à ce que mort s’ensuive !
— Écoute, Laurana, fit le nain en se raclant la gorge, les choses ne sont peut-être pas aussi noires que tu les vois. Les murs de la ville sont solides. Un millier d’hommes peuvent facilement les défendre. Des gnomes armés de catapultes gardent le port. Les chevaliers surveillent le seul point de passage des Monts Vingaard, et nous leur avons envoyé des renforts. Il nous reste les Lancedragons, du moins quelques-unes. Gunthar a fait savoir que d’autres arrivaient. Pourquoi n’attaquerions-nous pas les dragons en vol ?
— Ce n’est pas suffisant, Flint ! Nous pouvons tenir tête aux draconiens pendant une semaine ou deux, un mois même. Mais ensuite ? Que ferons-nous quand ils occuperont tout le territoire environnant ? Il ne nous restera plus qu’à nous barricader dans des abris de fortune. Bientôt le monde sera réduit à quelques îlots de lumière au milieu d’un océan de ténèbres. Un jour ou l’autre, l’obscurité nous absorbera.
Laurana appuya sa tête contre le mur.
— Depuis quand n’as-tu plus dormi ? demanda sévèrement Flint.
— Je ne sais plus, répondit-elle. Je mélange le sommeil et la veille. Soit je vis dans une sorte de rêve éveillé, soit je dors debout.
— Va dormir, dit Flint d’un ton qui rappela à Tass son grand-père. Nous nous relaierons pour monter la garde. C’est notre tour.
— Je n’arrive pas à dormir, dit Laurana en se frottant les yeux, réalisant soudain à quel point elle était fatiguée. Je suis venue vous donner des nouvelles. Les dragons ont été repérés au-dessus de la ville de Kalaman ; ils se dirigeaient vers l’ouest.
— Ils avancent dans notre direction, dit Tass.
— D’où vient l’information ? demanda Flint d’un air soupçonneux.
— Des griffons. Allons, ne fais pas cette tête, sourit Laurana devant l’expression dégoûtée de Flint. Les griffons ont été de précieux auxiliaires. Si les contributions de guerre des elfes ne se bornaient qu’à les fournir, ce serait déjà très bien.
— Les griffons sont des bêtes stupides, déclara Flint. Et je leur fais autant confiance qu’aux kenders. D’ailleurs, poursuivit-il au mépris de la mimique indignée de Tass, tout cela n’a aucun sens. Les seigneurs draconiens n’enverront jamais les dragons à l’assaut sans armée pour les soutenir.
— Leurs armées ne sont peut-être pas aussi dispersées que nous le pensons, soupira Laurana. Ou les dragons auront été envoyés pour dévaster la ville, démoraliser les habitants et laisser le pays en ruine. Je ne sais pas. Regardez, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre.
Flint vit des soldats qui auraient dû être relevés encore à leur poste, les yeux fixés sur l’est, où les cimes enneigées de la montagne rosissaient sous le soleil levant. Ils parlaient à voix basse avec leurs camarades pour avoir des informations.
— C’est ce que je craignais, soupira Laurana. La nouvelle va déclencher une panique ! J’ai recommandé au seigneur Amothus de ne pas la divulguer, mais les Palanthiens sont incapables de tenir leur langue ! Voilà ! Je vous l’avais bien dit !
Du haut des remparts, les trois amis virent les rues s’emplir de monde. Apercevant des gens mal réveillés et à moitié habillés courir d’une porte à l’autre, Laurana comprit que la nouvelle se répandrait à toute vitesse.
Ses yeux verts s’enflammèrent de colère.
— Maintenant, il va falloir dégarnir les remparts pour envoyer les hommes rétablir l’ordre dans la ville ! Je n’ai aucune envie que les soldats soient dans les rues quand les dragons attaqueront. Vous, venez avec moi !