Horrifiée de ce qu’elle venait de comprendre, elle arrêta net.
— Un fou, complètement fou, répéta le seigneur Amothus d’un air sinistre. Oui, c’est ce qui reste du corps du mage. Du moins on le suppose. Personne n’a réussi à venir assez près pour s’en assurer.
Laurana tremblait. Consciente que cette lugubre histoire viendrait hanter ses nuits, elle aurait préféré ne l’avoir jamais entendue.
Et elle avait
Irritée, elle chassa cette pensée de son esprit. Tout cela n’avait pas d’importance. Elle n’allait pas perdre son temps avec ces balivernes. Son avenir ne s’annonçait pas si brillant qu’il faille y ajouter des contes cauchemardesques.
Comme s’il avait lu dans ses pensées, Astinus se leva et réclama des chandelles.
— Allons, dit-il froidement, le passé est achevé. Ton avenir n’appartient qu’à toi. Et il nous reste encore beaucoup à faire jusqu’à demain matin.
7
A la tête des Chevaliers
— Tout d’abord, je dois lire le message du seigneur Gunthar, que j’ai reçu il y a quelques heures.
Le seigneur de Palanthas sortit un parchemin des plis de sa robe de brocart et l’étendit sur la table. Il l’éloigna de ses yeux pour parvenir à déchiffrer les caractères.
Certaine que c’était une réponse au message qu’elle avait fait envoyer deux jours auparavant par le seigneur Amothus, Laurana se mordait les lèvres d’impatience.
— Il est un peu froissé, s’excusa Amothus en s’efforçant de lire. Les griffons que les seigneurs elfes nous ont si aimablement prêtés sont incapables d’apporter les messages sans les froisser. Ah ! voilà, j’y suis : « Du seigneur Gunthar au seigneur Amothus, avec ses hommages. » Quel homme charmant, ce Gunthar ! Il est venu l’année dernière, pour les Fêtes de l’Aube du Printemps, qui d’ailleurs, ma chère Laurana, auront lieu dans trois semaines. Nous feras-tu la grâce d’y assister ?
— Je serais extrêmement heureuse, seigneur, que nous soyons tous là dans trois semaines, répondit la jeune elfe, s’efforçant de rester calme.
Le seigneur Amothus battit des paupières et sourit d’un air indulgent.
— Évidemment, les armées draconiennes… Bien ! Je continue de lire. « Je suis très peiné des pertes qu’a subies la chevalerie. Je suis particulièrement touché par la mort de trois de nos meilleurs chefs : Dirk Gardecouronne, chevalier de la Rose, Alfred MarKenin, chevalier de l’Épée, et Sturm de Lumlane, chevalier de la Couronne. » Lumlane. C’était un ami proche, je crois, chère Laurana ?
— Oui, mon seigneur, murmura Laurana, s’abritant des regards sous le rideau de ses cheveux dorés.
Sturm avait été enterré récemment dans la Chambre de Paladine, sous les ruines de la Tour du Grand Prêtre. Ce souvenir ravivait la douleur de la jeune elfe.
— Continue ta lecture, Amothus, ordonna Astinus. Je ne peux me permettre d’interrompre si longtemps mon travail.
— Certainement, répondit le seigneur en rougissant. « Cette tragédie place l’Ordre dans une situation inhabituelle. La chevalerie compte désormais une majorité de membres de la Couronne, l’Ordre le moins élevé. En clair, il nous reste surtout des jeunes gens sans expérience, qui participaient pour la première fois à une bataille. Pour assumer le commandement, nous n’avons plus de chevalier satisfaisant aux critères de la Loi. Il nous faut cependant un chef à la tête de chaque Ordre. »
Le seigneur s’arrêta et s’éclaircit la voix. Il y eut un flottement dans la salle. Mal à l’aise, les chevaliers présents se retournèrent sur leur siège. Laurana soupira doucement.
— « Par conséquent, je confie le commandement des chevaliers solamniques à Lauralanthalasa, de la maison royale du Qualinesti. »
Le seigneur Amothus fit une pause, comme s’il n’était pas sûr d’avoir bien lu. Laurana n’en croyait pas ses oreilles, les chevaliers non plus. Visiblement, ils n’en revenaient pas.
Pour lui-même, Amothus lut et relut le parchemin. Entendant Astinus murmurer d’impatience, il reprit à voix haute.
— «… Car c’est la seule personne rompue à la bataille qui connaisse le maniement des Lancedragons. J’atteste la validité de cet écrit par le sceau que j’y appose. Seigneur Gunthar Uth Wistan, Maître des Chevaliers de Solamnie. » Je te félicite, ma chère, je devrais dire plutôt « mon général »…
Laurana resta figée sur son siège. La colère la saisit, et elle fut sur le point quitter la salle. Les images du cadavre décapité d’Alfred MarKenin, du malheureux Dirk pris de folie, des yeux sereins de Sturm, et de tous les corps alignés dans la Tour lui étaient revenues à l’esprit…