Ainsi s’achève le chapitre sur le Serment des Dragons que rédigea Astinus. Une note supplémentaire relatera plus tard l’histoire tragique de l’amour de Silvara et Gilthanas. Il convient de la chercher dans les volumes écrits ultérieurement.
Tard dans la nuit, Laurana rédigeait les ordres du lendemain. Gilthanas et les dragons d’argent n’étaient arrivés que la veille, mais ses plans commençaient à prendre forme. Dans quelques jours, elle mènerait au combat des formations de dragons dirigées par des cavaliers munis de Lancedragons.
La jeune elfe espérait libérer les prisonniers et les esclaves du Donjon de Vingaard. Elle projetait de pousser ensuite vers le sud-est pour amener les armées draconiennes à la rencontre de la sienne. Alors elles se trouveraient prises comme entre le marteau et l’enclume par ses troupes et les Monts Dargaard qui séparaient la Solamnie du Désert de l’Est. Si elle parvenait à reconquérir Kalaman et son port, Laurana pourrait couper les voies de ravitaillement de l’armée ennemie.
Absorbée par son travail, elle n’entendit pas la garde qui discutait dehors. La porte s’ouvrit, mais elle ne leva pas les yeux avant d’avoir fini sa phrase.
Lorsque le nouveau venu prit la liberté de s’asseoir en face d’elle, elle sursauta.
— Oh ! Gilthanas, fit-elle, rouge de confusion, pardonne-moi. J’étais si prise par mon travail… Je croyais que tu étais… Mais peu importe. Comment te sens-tu ? Je me suis fait du souci…
— Je vais très bien, Laurana, coupa Gilthanas. J’étais seulement plus fatigué que je ne croyais ; depuis Sanxion, je n’ai pas bien dormi.
Il regarda sans mot dire les cartes étalées sur la table. Puis il prit une plume et commença à la lisser distraitement.
— Qu’y a-t-il, Gilthanas ?
Il leva sur elle des yeux tristes.
— Tu me connais trop bien. Je n’ai jamais rien pu te cacher, même quand nous étions petits.
— C’est au sujet de père ? demanda Laurana. As-tu entendu parler de quelque chose…
— Non, je n’ai aucune nouvelle des nôtres, à part ce que je t’ai dit. Ils se sont alliés avec les humains et s’efforcent ensemble de chasser les draconiens des Iles Ergoth et de Sancrist.
— Tout cela grâce à Alhana, murmura Laurana. Elle les a convaincus qu’ils ne pouvaient plus vivre hors du monde. Elle a même fait changer d’avis Porthios…
— Et si elle l’avait convaincu de bien autre chose ? demanda Gilthanas sans regarder sa sœur.
— On a parlé de mariage, dit Laurana. Je crois qu’il s’agirait d’une cérémonie de convenance, servant à unir nos deux peuples. Je n’imagine pas Porthios amoureux de qui que ce soit, même d’une femme aussi belle que la princesse. Quant à Alhana…
— Son cœur est enterré avec Sturm dans la Tour du Grand Prêtre.
— Comment le sais-tu ? dit Laurana, surprise.
— Je les ai vus ensemble à Tarsis. J’ai surpris l’expression de leurs visages. Et je suis au courant, pour l’étoile de diamants. Il voulait que cela reste secret, je ne l’ai pas dévoilé. C’était un homme de bien. Je suis fier de l’avoir connu ; jamais je n’aurais cru pouvoir dire cela d’un humain.
Laurana s’essuya les yeux du revers de la main.
— C’est vrai, mais ce n’est pas pour ça que tu es venu me voir.
— Non, répondit Gilthanas, bien que cela ait un rapport. Laurana, il s’est passé quelque chose, à Sanxion, que je n’ai pas raconté à Astinus. Je ne le dirai jamais à personne, si tu me demandes de…
— Pourquoi moi ? dit Laurana, toute pâle.
Sa main tremblait. Elle posa sa plume.
Gilthanas ne semblait pas l’avoir entendue. Il regardait fixement la carte.
— Lorsque nous nous sommes enfuis de Sanxion, nous avons dû passer par le palais d’Akarias. Je ne peux t’en dire plus, car je trahirais la personne qui nous a sauvé la vie maintes fois et qui court encore des dangers en faisant tout ce qu’elle peut pour aider le plus de gens possible.
« La nuit où nous étions cachés, attendant de pouvoir nous échapper, nous avons surpris une conversation entre le seigneur Akarias et l’un des seigneurs draconiens. C’était une femme, une humaine du nom de Kitiara. »
Laurana resta muette. Son visage était d’une pâleur mortelle, ses yeux dilatés semblant se délaver sous la lumière de la lampe.
Gilthanas lui prit la main. Elle était glacée. Il la regarda et comprit qu’elle devinait ce qu’il allait lui confier.
— Je me suis souvenu de ce que tu m’as raconté quand nous avons quitté le Qualinesti, et j’ai compris que c’était l’humaine que Tanis Demi-Elfe aimait, la sœur de Caramon et Raistlin. Je l’ai reconnue à cause de ce que ses frères avaient dit d’elle. Elle parlait de Tanis, Laurana.
Il s’était arrêté, se demandant s’il devait continuer, car Laurana avait l’aspect d’une statue.