— En tout cas, ce n’est pas Fizban, répondit le kender d’un air malheureux, les yeux obstinément baissés.
Le vieillard sourit et lui caressa la tête. Il voulut le prendre par le menton, mais Tass se raidit.
— Jusqu’à maintenant, ça n’était pas Fizban, murmura le vieillard.
— Alors comment t’appelles-tu ? demanda Tass du bout des lèvres.
— J’ai plusieurs noms, répondit le vieillard. Chez les elfes, je suis E’li. Les nains me nomment Thak. Pour les humains je suis Feuille de Ciel. Mais celui que je préfère, c’est Draco Paladin, comme m’appellent les Chevaliers de Solamnie.
— Je le savais ! grogna Tass, se jetant à terre. Un dieu ! J’ai perdu tous mes amis ! Je n’ai plus personne ! dit-il en sanglotant.
Le vieillard le regarda un moment avec douceur, et essuya ses larmes.
— Écoute, mon garçon, dit-il le prenant enfin par le menton. Vois-tu l’étoile rouge qui brille au-dessus de nous ? Sais-tu à quel dieu elle est vouée ?
— À Reorx, répondit Tass d’une petite voix.
— L’étoile est rouge comme le feu de sa forge, dit le vieil homme. Rouge comme les étincelles qui jaillissent sous son marteau lorsqu’il modèle le monde sur son enclume. Près de la forge de Reorx se dresse un arbre d’une beauté inégalée. Sous cet arbre est assis un vieux nain râleur qui se repose après des années de labeur. Une chope de bière fraîche à la main, il réchauffe ses vieux os au feu de la forge. Sous cet arbre, il passe ses journées à sculpter le bois. Il y a toujours quelqu’un qui s’arrête pour lui parler.
« Le nain toise les curieux avec un tel dédain qu’ils passent leur chemin. « La place est réservée, grommelle-t-il, à une espèce d’écervelé de kender qui court le monde pour se fourrer dans n’importe quel guêpier. Et encore, je pèse mes mots. Un jour, il passera par ici et tombera en admiration devant mon arbre.
— Il n’est pas tout seul ? demanda Tass en s’essuyant les yeux.
— Non, mon enfant. C’est un être patient. Il sait que tu as encore beaucoup de choses à faire. Il attend. D’ailleurs, il connaît toutes tes aventures. Et beaucoup d’autres t’attendent.
— Mais il ne peut pas connaître la dernière, dit Tass, excité. Oh ! Fizban, c’était merveilleux ! De nouveau, j’ai failli mourir. Quand j’ai ouvert les yeux, Raistlin était là, devant moi, en robe noire ! Il avait l’air… hum… méchant. Mais il m’a sauvé la vie ! Et puis… Oh ! je suis désolé. J’ai oublié… Je ne devrais plus t’appeler Fizban.
— Tu peux m’appeler Fizban. À partir de maintenant, ce sera mon nom chez les kenders. À vrai dire, je commence à y prendre goût…
Le vieillard se dirigea vers Tanis et Caramon, en grande conversation. Il les écouta sans rien dire.
— Il est parti je ne sais où, Tanis, dit Caramon. Je ne comprends pas. Toujours aussi frêle, il est devenu plus résistant. Il ne tousse plus. Sa voix est bien la sienne, mais elle sonne autrement. Il est…
— Fistandantilus, dit une voix.
Tanis et Caramon se retournèrent. Voyant que le vieillard les avait rejoints, ils s’inclinèrent devant lui.
— Oh ! pas de ça avec moi ! coupa Fizban. Les courbettes m’énervent. De toute façon, vous êtes deux hypocrites. J’ai très bien entendu ce que vous racontiez dans mon dos. (Les deux hommes prirent un air coupable.) Cela ne fait rien ! Vous avez cru à ce que j’ai voulu vous faire croire. Quant à ton frère, Caramon, tu as raison. Il est lui-même et il ne l’est pas. Comme je l’avais prédit, il est devenu maître du présent et du passé.
— Je ne comprends toujours pas, dit Caramon. Est-ce l’orbe draconien qui l’a changé ? Si oui, on pourrait peut-être le détruire ou…
— L’orbe n’est responsable, répondit Fizban. Ton frère a choisi lui-même son destin.
— Je n’arrive pas à y croire ! Comment est-ce possible ? Qui est ce Fistan… je ne sais quoi ? Je veux savoir…
— Ce n’est pas à moi de te donner la réponse, répondit Fizban. Prends garde aux réponses qu’on te donne, jeune homme. Et méfie-toi plus encore des questions que tu poses !
Caramon resta silencieux. Il contemplait le ciel où il avait vu disparaître le dragon vert.
— Que va-t-il devenir ? demanda-t-il finalement.
— Je n’en sais rien, répondit Fizban. Il suit son propre chemin, tout comme toi. Mais j’ignore lequel. Tu dois le laisser faire. (Le vieil homme se tourna vers Tika, qui les avait rejoints :) Raistlin avait raison, vos routes se séparent. Entre dans ta nouvelle vie avec sérénité.