Derrière eux, ils entendirent la voix de Kitiara qui appelait le seigneur Sobert. Il se demanda ce que le chevalier fantôme, privé de sa proie, pouvait bien leur vouloir. Le rêve lui revint à l’esprit. Il revit Laurana qui tombait…, Kitiara qui tombait…, et lui qui était incapable de les sauver…
Laurana l’attendait dans l’escalier, la torche illuminant ses cheveux dorés. Il ferma la porte et dévala les marches derrière elle.
— C’est la femme elfe ! fit le seigneur Sobert, ses yeux incandescents braqués sur les deux fuyards. Elle est avec le demi-elfe.
— Oui, fit Kitiara d’un ton indifférent.
Elle dégaina son épée et, négligemment se mit à racler le sang caillé collé à sa cape.
— Et si je les poursuivais ? demanda Sobert.
— Nous avons des choses plus importantes à faire. L’elfe ne t’appartiendra jamais, même morte. Les dieux la protègent.
— Le demi-elfe reste ton maître, dit le spectre en ricanant sous cape.
— Non, je ne crois pas. Il ne m’étonnerait pas que Tanis, au plus profond de la nuit, quand il sera étendu à son côté, pense à moi. Il se souviendra de mes dernières paroles, et il sera ému. C’est à moi qu’ils doivent leur bonheur. Elle vieillira avec la pensée que je resterai toujours vivante dans le cœur de Tanis. Quel que soit leur amour, je l’ai empoisonné. Ma vengeance est complète. Alors, m’as-tu apporté ce que je t’ai demandé ?
— Je l’ai fait, Dame Noire, répondit le seigneur Sobert.
Il prononça un mot magique qui fit apparaître un objet qu’il posa respectueusement aux pieds de Kitiara.
Elle poussa une exclamation. Ses yeux brillèrent aussi fort que les prunelles incandescentes du chevalier fantôme.
— Parfait ! Retourne au Donjon de Dargaard et rassemble les troupes. Nous prendrons le contrôle des citadelles volantes qu’Akarias a envoyées à Kalaman. Ensuite, nous nous replierons et nous attendrons le moment propice.
— Cet objet t’appartient de droit, dit le spectre. Ceux qui s’opposaient à toi sont morts, comme tu l’as ordonné, ou se sont enfuis avant que je puisse les abattre.
— Ils ne perdent rien pour attendre, fit Kitiara en rengainant son épée. Tu es un serviteur fidèle, Sobert, et tu auras ta récompense. Le monde ne manque pas de jeunes filles elfes, autant que je sache.
— Ceux dont tu veux la mort mourront. Ceux à qui tu laisses la vie sauve resteront en vie. N’oublie pas : de tous ceux qui te servent, Dame Noire, je suis le seul qui puise te garantir une éternelle loyauté. J’ai été heureux d’avoir eu l’occasion de le prouver. Comme tu me l’as demandé, je retournerai avec mes guerriers au Donjon de Dargaard. Nous y attendrons tes ordres.
Il s’inclina et lui baisa la main.
— Bonne chance, Kitiara. Quel effet cela fait-il, ma chère, de rendre le plaisir à un damné de ma sorte ? Tu as fait du royaume de la mort auquel je suis condamné un lieu où il a repris ses droits. Quel dommage que je ne t’aie pas connue quand j’étais encore de ce monde ! Mais le temps ne compte pas pour moi. Je sais attendre. Quelqu’un viendra peut-être un jour partager mon trône…
Ses doigts glacés effleurèrent la peau de Kitiara, qui frémit. Elle songea aux longues nuits d’insomnie qui l’attendaient, hantées par le fantôme du chevalier.
La perspective était si terrifiante que son cœur se serra.
Sobert s’était évanoui dans les ténèbres.
Kitiara se retrouva seule dans le noir. Le poids de la solitude l’écrasa. Accompagnée d’un craquement sinistre, une nouvelle secousse ébranla le temple jusque dans ses fondations. Effrayée, elle fit un pas pour s’éloigner du mur ; son pied buta contre quelque chose de dur. Elle tendit la main pour tâter l’objet, et le ramassa.
Ses doigts palpaient le cercle d’or serti de gemmes. Kitiara n’avait pas besoin de lumière pour
Tanis et Laurana dévalèrent l’escalier en colimaçon qui menait aux oubliettes. Devant le poste de garde, le demi-elfe s’arrêta pour jeter un regard au cadavre du hobgobelin.
— Allez viens, pressa Laurana. Pas par là ! Tu ne vas quand même pas descendre par ce couloir ! fit-elle, le voyant hésiter. C’est là où ils m’ont enfermée… !
Elle pâlit. On entendait les hurlements des prisonniers coincés dans les geôles.
Un draconien chargé de butin passa en courant.
— Je voudrais voir si Caramon ne se trouve pas dans les parages, dit Tanis. Ils ont dû le mettre dans une de ces geôles.
— Caramon ? s’étonna Laurana.
— Nous sommes venus ensemble à Neraka, expliqua Tanis, avec Tika, Tass et… Ils sont peut-être passés par ici, mais ils n’y sont plus. Allons-nous-en !
Laurana s’empourpra. Son regard passa alternativement de l’escalier à Tanis.
— Tanis…
Il lui plaqua une main sur la bouche pour l’empêcher de continuer.