L’ombre apparue dans la niche avait paralysé de terreur l’âme et l’esprit de Tanis, mais il lui restait assez de conscience pour voir que la Reine n’avait pas pris chair. Dans l’incapacité de se présenter
Quelque chose l’empêchait d’entrer dans le monde. Berem avait parlé d’une porte, se souvint Tanis. Où pouvaient bien être l’Éternel, Caramon et les autres ? Avec un pincement au cœur, il réalisa qu’il les avait momentanément oubliés. Kitiara et Laurana avaient mobilisé ses pensées.
Une intuition lui soufflait que la clé de l’énigme était là, à portée de sa main. Si seulement il avait eu le temps d’y réfléchir calmement…
Mais c’était impossible. L’apparition augmenta d’intensité. Sa présence créa un halo béant au milieu de l’immense salle de granit. Tanis ne put détacher les yeux du vide opaque qui l’aspirait.
Une voix retentit dans sa tête :
—
Akarias mit un genou en terre, aussitôt imité par l’assistance. Sans qu’il l’ait voulu, Tanis se retrouva aussi à genoux. Malgré la répulsion qu’il éprouvait pour l’entité, elle n’en était pas moins une divinité qui avait présidé à l’origine du monde… et qui régnerait sur lui jusqu’à la fin des temps.
S’insinuant dans les cerveaux, la voix surnaturelle poursuivit son discours :
—
Tanis surprit le regard haineux qu’Akarias lança à Kitiara.
— Comme il te plaira, Majesté, répondit Kitiara en s’inclinant.
Elle descendit les marches de son trône.
— Viens avec moi, dit-elle à Tanis.
Les soldats s’écartèrent pour les laisser passer et reformèrent aussitôt leurs rangs.
Kitiara grimpa sur la passerelle qui reliait la tête du serpent géant à la niche ténébreuse. Tanis la suivit, mal à l’aise. Il se sentait happé par un regard qui fouillait jusqu’au plus profond de lui-même.
Au milieu de la passerelle, Kitiara fit un signe en direction d’une porte sculptée donnant sur le rocher. Une silhouette sombre, revêtue de l’armure des chevaliers solamniques, apparut sur le seuil. Elle tenait dans les bras un corps enrubanné comme une momie.
Le silence devint absolu ; on eut l’impression d’entendre les pas du fantôme.
Le chevalier Sobert posa son fardeau aux pieds de Kitiara. Puis, sous les yeux effarés de l’assistance, il disparut. Chacun crut avoir rêvé. Kitiara souriait, visiblement satisfaite de l’impression produite par son serviteur.
Elle dégaina son épée et trancha les liens qui enveloppaient le corps comme un cocon.
Puis elle recula d’un pas et contempla d’un œil narquois, les convulsions de sa prisonnière, empêtrée dans d’inextricables bandelettes de tissu. Les troupes draconiennes contenaient à grand-peine leur hilarité. Puis les éclats de rire fusèrent franchement.
Des mèches couleur miel apparurent dans le miroitement de pièces d’armure. Laurana émergea des bandelettes comme un papillon de sa chrysalide. Tanis, indigné, avança vers elle. Un regard foudroyant de Kitiara le cloua sur place.
— N’oublie pas que si tu meurs, elle mourra…
Tanis recula. Laurana avait réussi à se mettre debout et regardait autour d’elle en clignant des yeux, éblouie par la lumière des torches. Elle se campa face à Kitiara, qui souriait derrière son heaume…
Reconnaissant l’ennemie, la femme qui l’avait trahie, Laurana se redressa de toute sa hauteur. Sa peur s’était muée en colère. Elle parcourut l’assistance d’un regard hautain, puis elle leva les yeux vers le dôme de granit noir.
Elle n’avait pas remarqué le demi-elfe sous son armure draconienne, mais elle avait noté les trônes des seigneurs, la présence de leurs dragons et celle de la Reine des Ténèbres.
Qu’avait-on raconté à Laurana pendant sa détention ? Avait-elle entendu les hurlements des suppliciés ? Dans quelques minutes, quelques heures, elle risquait de connaître le même sort qu’eux…
Pâle comme la mort, Laurana serra les dents. Tanis savait qu’elle ferait n’importe quoi pour ne pas donner sa peur en spectacle.
Kitiara fit un geste imperceptible à l’intention de sa captive. Laurana tourna la tête et reconnut Tanis.