Tass ne répondit pas. Il entendait les rires rauques des draconiens sûrs de cueillir leurs proies.
Ils allaient apparaître au détour du couloir et Tika se trouverait nez à nez avec eux.
— Je… je n’y arriverai jamais ! gémit Tass, fixant la serrure d’un air terrifié.
— Tass, il ne faut pas qu’ils nous prennent ! Ils sont au courant, pour Berem. Ils feront tout pour nous obliger à parler ! Et tu sais très bien comment ils y parviendront…
— Tu as raison. Je vais essayer.
« Tu as le courage nécessaire pour suivre cette voie…», avait dit Fizban.
Tass sortit un fil de fer de sa poche. Après tout, que signifiait la mort pour un kender lancé dans la plus grande aventure des tous les temps ? Et il y avait Flint, qui devait se morfondre à l’attendre, tout seul. Dieu sait dans quel guêpier il s’était fourré ! Rasséréné, Tass introduisit le fil de fer dans la serrure et commença ses manipulations.
Il entendit des cris derrière lui, puis les vociférations de Tika. Les épées s’entrechoquèrent. Il risqua un œil.
Tika n’avait jamais appris l’escrime, mais elle avait une bonne expérience des rixes de taverne. Maniant l’épée de taille et d’estoc, elle frappa à tour de bras, donnant force coups de pied. La férocité de ses attaques dérouta les draconiens. Chacun reçut son estafilade. L’un baignait déjà dans son sang vert, un bras hors d’usage.
Mais elle ne pourrait pas les tenir en respect bien longtemps. Tass se remit à l’ouvrage. Ses mains tremblaient ; le fil de fer lui échappa des mains. Le problème consistait à faire sauter la serrure sans déclencher le piège, une minuscule aiguille montée sur ressort.
— Eh ! Fais un peu attention, s’écria-t-il en se retournant.
Il s’arrêta net. Le rêve ! C’était exactement les mots qu’il avait prononcés dans le rêve, où il avait vu Tika gisant à ses pieds, ses boucles rousses éparses baignant dans le sang.
— Non, tout mais pas ça ! cria-t-il.
Le fil de fer et sa main heurtèrent la serrure. Elle s’ouvrit avec un clic sonore, suivi d’un autre clic à peine audible. Le piège s’était déclenché.
Le regard de Tass alla de la goutte de sang qui perlait sur son doigt à la petite aiguille d’or qui sortait de la serrure. Les draconiens s’emparèrent de lui, mais il n’en avait cure. Cela n’avait plus aucune importance. Il sentit la douleur naître dans son bras et monter jusqu’à l’épaule.
Des cors et des trompettes retentirent. Il les avait déjà entendus quelque part. Mais où ? Ah oui, à Tarsis, juste avant que les dragons arrivent.
Les draconiens le lâchèrent et firent précipitamment demi-tour dans le couloir.
— On a dû sonner l’alerte générale, murmura Tass.
Il constata, non sans intérêt, que ses jambes ne le portaient plus. Il rejoignit le sol au côté de Tika, blanche comme une morte, et caressa tendrement ses boucles rousses maculées de sang.
— Je regrette tant, Tika, dit-il, la gorge serrée ; pardonne-moi, Caramon. J’ai essayé, j’ai vraiment fait mon possible…
Le dos appuyé à la porte, Tass pleurait en silence, attendant que les ténèbres l’enveloppent.
Tanis était pétrifié.
Il n’espérait plus qu’une chose : qu’un dieu miséricordieux le foudroie aux pieds de la Reine Noire. Les ténèbres se dissipèrent ; elle avait tourné ses regards ailleurs.
Tanis se releva, rouge de honte. Il n’osait pas poser les yeux sur Laurana, ni affronter la colère de Kitiara.
Mais le demi-elfe était pour l’instant le cadet de ses soucis. Elle goûtait son heure de gloire. Tous ses projets étaient en train de se réaliser. Tanis se dirigea vers Laurana pour l’emmener. Kitiara lui barra le passage et le fit reculer. Puis elle se plaça devant lui et interpella la Reine :
— Je voudrais récompenser le serviteur qui m’a aidé à capturer la femme elfe. Le seigneur Sobert a demandé que lui soit accordée l’âme de Lauralanthalasa, pour le venger de l’elfe qui lui a jadis jeté un sort. Étant condamné à vivre éternellement dans les ténèbres, il demande qu’elle partage son sort par-delà la mort.
— Non ! s’écria Laurana, terrifiée. Non !
Jetant autour d’elle des regards éperdus, elle cherchait un moyen de s’échapper. Puis elle se tourna vers Tanis. Le demi-elfe, blanc de colère, ne la voyait plus. Il rivait sur l’humaine un regard flamboyant.
Regrettant de s’être laissée aller, Laurana se jura de mourir plutôt que de montrer quelque faiblesse. Elle redressa la tête, de nouveau parfaitement maîtresse d’elle-même.
Les paroles de Kitiara avaient eu l’effet d’un coup de fouet sur Tanis.
— Tu m’as trahi ! Cela n’a jamais fait partie de notre accord !
— Tais-toi ! ordonna Kitiara à voix basse. Tu vas tout faire échouer !
— Mais que…