— La ferme !
— Ton présent est le bienvenu, Kitiara, dit la voix surnaturelle. Je t’accorde les faveurs que tu réclames. L’âme de la femme elfe sera octroyée au seigneur Sobert, et le demi-elfe servira dans notre armée. Qu’il dépose son épée aux pieds d’Akarias en signe d’allégeance.
— Parfait ! Vas-y ! ordonna Kitiara.
Tous les yeux convergèrent sur le demi-elfe. Dérouté, il ne savait plus où il en était.
— Quoi ? Mais tu ne m’as jamais parlé de rien ! Que dois-je faire ?
— Monter sur le trône d’Akarias et déposer ton épée à ses pieds. Il la prendra et te la rendra, ce qui marquera ton engagement dans l’armée draconienne. C’est un rituel, rien de plus. Mais cela me fera gagner du temps.
— Du temps pour quoi ? Qu’est-ce que tu mijotes ? fit-il en lui saisissant le bras. Tu aurais pu me le dire…
— Écoute, Tanis, moins tu en sauras, mieux cela vaudra, répondit-elle avec un sourire destiné à donner le change à l’assistance.
De ricanements et des plaisanteries égrillardes saluèrent ce qui semblait une querelle d’amoureux.
— N’oublie pas que la femme elfe est entre mes mains, chuchota Kitiara avec un regard entendu sur sa prisonnière. Ne fais rien d’inconsidéré.
Tremblant de rage, la tête en feu, Tanis descendit de la passerelle sous les murmures de la foule. Quand il atteignit le parterre, la tête lui tournait. Sans avoir la moindre idée de ce qu’il pourrait faire, il marcha vers le trône d’Akarias.
Les gardes d’honneur du seigneur lui semblèrent sortir tout droit d’un cauchemar. Devant cette haie de monstres, il posa le pied sur la première marche, pénétrant dans un brouillard d’où émergeait un homme puissant et majestueux : Akarias, le chef des armées draconiennes. Sa couronne était le point de mire de la salle. Ébloui par son éclat, Tanis cligna des yeux.
Kitiara l’avait-elle trahi ? Tiendrait-elle sa promesse ? Tanis, qui en doutait, se maudissait lui-même. Une fois de plus, il était tombé dans ses filets, car il avait été assez bête pour la croire. C’était elle qui tirait les ficelles. Lui, que pouvait-il faire ?
Une idée lui traversa l’esprit si subitement qu’il marqua un temps d’arrêt sur la deuxième marche. Pour sauvegarder les apparences, il continua à monter d’un pas assuré. À mesure qu’il se rapprochait d’Akarias, son idée se faisait plus précise.
« Le pouvoir est à celui qui possède la Couronne ! Tue Akarias et prends la Couronne ! C’est simple ! » lui dictait une voix intérieure.
Il n’y avait personne autour du trône d’Akarias. Ni sur les marches. L’homme était si sûr de lui, si imbu de son pouvoir, qu’il pouvait se passer de gardes du corps.
Le cerveau de Tanis se déchaîna.
Tanis tremblait d’excitation. Il dut faire un effort pour retrouver son calme. De peur de trahir ses intentions, il évita de regarder Akarias.
Plus que cinq marches à gravir, et il serait devant lui. La main serrée sur la garde de son épée, il avait repris son contrôle. Il leva les yeux sur le seigneur ; ses nerfs faillirent lâcher. Toute expression avait été gommée de ce visage, qui n’exprimait plus qu’une ambition dévorante, nourrie par la mort de milliers d’innocents.
Akarias regardait Tanis avec un mélange d’ennui amusé et de mépris. Son regard se porta sur Kitiara ; ce qui le préoccupait était autrement plus important que le demi-elfe. Comme un joueur examinant la position de ses pions sur un damier, il réfléchissait.
Soulevé de répulsion et de haine, Tanis commença à tirer son épée. Même si sa tentative de libérer Laurana échouait, même s’ils y laissaient tous deux la vie, il aurait au moins accompli un acte salutaire en débarrassant le monde du commandant suprême des armées draconiennes.
Au frottement de la lame contre le fourreau, Akarias posa les yeux sur Tanis. Le demi-elfe se sentit mis à nu par ce regard, qui le brûlait comme un charbon ardent. La révélation tomba sur le demi-elfe comme la foudre. Il vacilla en attaquant la dernière marche.
Cette aura surpuissante qu’irradiait l’homme ! Akarias… était un magicien !