Le seigneur draconien était maintenant sur ses gardes. Son regard froid et calculateur en témoignait.
Le demi-elfe était bien obligé de s’avouer vaincu.
« Frappe, Tanis ! N’aie pas peur de sa magie ! Je suis avec toi ! »
Ses cheveux se dressèrent sur sa tête. La voix n’était qu’un chuchotement, mais d’une clarté telle que Tanis crut sentir un souffle contre son oreille.
Hormis Akarias, il n’y avait personne près de lui ! Trois marches à gravir, et le cérémonial serait terminé ! Le voyant hésiter, Akarias fit un geste péremptoire, pressant Tanis de poser son épée à ses pieds.
« Frappe, Tanis ! » chuchota de nouveau la voix. « N’attends pas ! »
En nage, Tanis sortit son épée du fourreau. Akarias lui faisait face. Le mur magique qui le protégeait scintillait comme un arc-en-ciel de gouttes d’eau.
Feignant de s’agenouiller, Tanis présenta à Akarias la garde de son épée. Puis il la fit virevolter, et l’enfonça dans le cœur du seigneur.
Le demi-elfe crut défaillir. Serrant les mâchoires, il avait frappé, s’attendant à être foudroyé comme un arbre.
La foudre tomba, mais pas sur lui. L’arc-en-ciel avait explosé à la pointe de son épée. Le coup avait touché la chair : un cri de douleur lui déchira les tympans.
L’épée en travers du torse, Akarias tomba en arrière. Un autre que lui aurait été tué sur le coup, mais sa colère et son énergie défiaient la mort. Livide de rage, il frappa Tanis au visage, l’envoyant rouler aux pieds du trône.
Le demi-elfe sentit une affreuse douleur à la tête. Il vit son épée ensanglantée retomber sur le sol. Un instant, il crut sa dernière heure arrivée, et avec elle, celle de Laurana. Il secoua énergiquement la tête pour reprendre ses esprits. Il fallait aller jusqu’au bout ! Il fallait prendre la Couronne !
Akarias se pencha vers lui, les mains tendues. Il se préparait à lui jeter un sort qui mettrait fin à ses jours.
Il n’y avait plus rien à faire. Tanis n’avait pas le pouvoir de se soustraire à la magie et une intuition lui dit que la voix invisible n’interviendrait pas.
Mais pour puissant que fût Akarias, il existait un pouvoir auquel il ne pouvait prétendre. Dans un spasme de douleur, il se recroquevilla, tassé sur lui-même. L’incantation mourut sur ses lèvres. Il vit son sang inonder sa robe rouge ; inexorablement, la vie se retirait de lui. La mort le voulait, et il ne pouvait pas la tenir à distance. Il lança un dernier appel à la Reine Noire.
Mais celle-ci n’aimait pas les faibles, ni les vaincus.
Comme elle avait vu Akarias assassinant son propre père, elle le regarda succomber en prononçant son nom.
Un silence embarrassé accueillit le bruit mat du corps touchant sur le sol de la salle. La Couronne roula avec fracas sur le marbre noir et s’immobilisa dans une mare de sang.
Qui la revendiquerait ?
Un cri perçant s’éleva. Kitiara appela quelqu’un dont Tanis ne comprit pas le nom. D’ailleurs, il n’en avait cure. Il tendit la main vers la Couronne.
Alors un personnage en armure apparut devant lui.
Le seigneur Sobert !
Réprimant une terreur indicible, Tanis riva son regard sur son objectif. La Couronne n’était qu’à quelques centimètres de ses doigts. Il les tendit jusqu’à sentir le métal mordre sa chair. À cet instant, une main squelettique la saisit.
La lueur orangée brillait au fond des orbites du chevalier fantôme. Sa main s’était tendue pour s’emparer du butin. Tanis entendit Kitiara hurler des ordres à tort et à travers.
Défiant le seigneur Sobert du regard, le demi-elfe voulut lever la Couronne ensanglantée au-dessus de lui. Une formidable sonnerie de trompettes déchira le silence.
La main du seigneur Sobert resta suspendue dans l’air. Kitiara s’était tue.
Un murmure craintif parcourut l’assemblée. Tanis aurait pu croire un instant que les musiciens avaient joué en son honneur, mais les visages alarmés qui l’entouraient le détrompèrent. Tous les regards convergeaient vers la Reine Noire.
Sa Noire Majesté avait gagné en densité. Elle étendait son ombre sur l’assemblée comme un grand nuage. Réagissant à un signal muet, les draconiens de sa garde personnelle disparurent par les portes de la salle. La silhouette que Tanis avait aperçue au côté de la Reine s’était évanouie.