Читаем Dragons d'une aube de printemps полностью

Il leva les yeux. La même expression de résignation sur le visage, Berem était toujours accroché à la barre. Maquesta persistait à vouloir sauver son bateau, hurlant ses ordres pour dominer le grondement des flots. Terrorisé, l’équipage n’écoutait plus. Certains dormaient, d’autres vitupéraient. La plupart des matelots ne disaient rien, hypnotisés par les remous qui les attiraient inexorablement vers les profondeurs de la mer.

Tanis sentit la main ferme de Rivebise l’agripper. Il voulut se dégager, mais le barbare le retint.

— Tanis, mon frère, tu as choisi cette voie à Solace, à l’Auberge du Dernier Refuge, où tu es venu en aide à Lunedor. Parce que tu ne t’es pas détourné de nous quand nous étions en difficulté, nous avons su que les dieux étaient de retour. Nous avons apporté à ce monde la guérison. Nous lui avons rendu l’espoir. Te souviens-tu de ce que nous a dit la Maîtresse de la Forêt ? Il ne faut pas pleurer sur ceux qui ont accompli leur mission. Nous avons rempli la nôtre, mon ami. Qui sait combien de gens nous avons convaincus ? Qui peut dire si cet espoir ne conduira pas à la victoire ? Pour nous, il semble que le combat touche à sa fin. Qu’il en soit ainsi. Posons nos épées, pour que d’autres puissent les prendre et continuer à se battre.

— De belles paroles, hommes des plaines, coupa Tanis, mais parle-moi franchement. N’as-tu aucune amertume face à la mort ? Tu as la vie devant toi, Lunedor, les enfants que vous n’avez pas encore…

Le visage de Rivebise prit une expression douloureuse. Il détourna la tête, mais Tanis le regarda attentivement. Soudain, il comprit. En plus de tout, il détruisait cela…

— Lunedor et moi ne voulions pas te le dire. Tu as assez de soucis sans ça, soupira Rivebise. Notre enfant devrait naître en automne. C’est la saison où les feuilles virent à l’or et au pourpre comme à Solace, quand nous sommes arrivés avec le bâton de cristal bleu. Le jour où le chevalier Sturm de Lumlane nous a rencontrés sur la route et nous a emmenés à l’Auberge du Dernier Refuge.

La poitrine de Tanis se souleva, déchirée de sanglots. Rivebise prit son ami dans ses bras et le serra contre lui.

— Les forêts dont nous parlons n’existent plus, Tanis, continua-t-il doucement. Nous n’aurions eu que des troncs d’arbres calcinés à montrer à notre enfant. Mais il verra des forêts comme les dieux les ont voulues, dans un pays où les arbres vivent éternellement. Fais taire ton chagrin, mon ami, mon frère. Aie foi en ces dieux.

Tanis repoussa doucement l’homme des plaines. Il n’osait le regarder dans les yeux. Ce qu’il voyait en lui-même ressemblait aux arbres torturés du Silvanesti. La foi ? Il l’avait perdue. Que signifiaient les dieux pour lui ? Il avait fait son choix tout seul. Il avait souillé tout ce à quoi il tenait dans la vie, sa patrie, l’amour de Laurana. Il avait même été sur le point d’abandonner ses amis. Seule une indéfectible loyauté retenait Rivebise de renier le demi-elfe.

Chez les elfes, le suicide était un blasphème, un crime contre le cadeau le plus précieux du monde : la vie. Tanis regardait cependant la mer avec l’envie de s’y jeter.

Que la mort vienne vite, pria-t-il. Que ces eaux se referment sur moi et me gardent dans leurs profondeurs. Si les dieux existent, qu’ils m’écoutent. Je ne leur demande qu’une chose : puisse Laurana ne jamais apprendre mon infamie. J’ai fait le malheur de trop de gens…

À l’instant où il formulait cette prière, qu’il espérait être sa dernière, une ombre plus noire que les nuages du cyclone s’étendit au-dessus de lui. Il entendit les cris de Lunedor et de Rivebise, bientôt couverts par le grondement de l’eau. Le navire était engagé dans le tourbillon. Hagard, Tanis leva les yeux vers le ciel. Les yeux féroces du dragon bleu, mené par Kitiara, brillaient à travers les nuages.

Refusant de renoncer à une proie qui leur vaudrait un triomphe, Kitiara et Nuage s’étaient aventurés au cœur de la tempête. Ils piquaient sur Berem.

L’homme semblait cloué au plancher. Dans un état de rêve éveillé, il fixait le dragon qui fondait sur lui.

Cette vision eut sur Tanis l’effet d’une décharge électrique. Oubliant les flots grondant autour du navire, il s’élança. Il atterrit tête baissée dans l’estomac de Berem. Les deux hommes roulèrent sur le plancher au moment où une vague déferlait sur le pont. Emporté par le flux, Tanis agrippa ce qui se trouvait à portée de sa main. Le navire se redressa, l’eau évacua le pont. Berem avait disparu. Au-dessus de lui, le dragon poussait des rugissements.

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Андрей Боярский

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