Tanis entendit Kitiara s’égosiller dans le tumulte puis il la vit pointer un doigt dans sa direction. Nuage darda les yeux sur lui. Tanis soutint le regard de la bête, qui luttait pour garder l’équilibre en battant furieusement des ailes.
Accroupie près de Caramon, Tika se rongeait d’inquiétude. Elle en avait oublié la fin qui l’attendait. Caramon ne se rendait pas compte de sa présence. Les poings serrés, il fixait les ténèbres, répétant deux mots comme une litanie.
Avec une lenteur désespérante, le navire se balançait au fil du tourbillon, comme si chacune de ses planches tentait une ultime résistance. Maquesta se joignait au combat de son bateau. En lui donnant toute sa force intérieure, elle tentait d’inverser les lois de la nature. Tout cela était vain. Dans un fracassant soubresaut, le
Les madriers craquèrent, les mâts dégringolèrent. Les hommes furent précipités du haut du gréement. En mugissant, le tourbillon rouge aspira le
Quand tout fut fini, deux mots résonnèrent comme une bénédiction funèbre :
— Mon frère…
5
Le chroniqueur et le mage
Astinus de Palanthas était assis à sa table de travail. Tenue d’une main ferme, sa plume glissait sans s’interrompre sur le parchemin, bientôt couvert de caractères. Son écriture se déroulait sur la feuille au fil de ses pensées. À peine levait-il sa plume pour la tremper dans l’encrier.
La porte s’entrouvrit en grinçant. Astinus ne leva pas les yeux. Rien ne pouvait le distraire de son travail. D’ailleurs, il n’avait été dérangé qu’en de rares occasions. L’une d’elles avait été le Cataclysme. Il se rappelait que ce jour-là, l’encre avait éclaboussé toute la page.
L’ombre du nouveau venu se projeta sur le parchemin. Comme il restait muet, Astinus présuma qu’il était mort de peur à l’idée de le déranger.
— Maître…, dit Bertrem d’une voix tremblante.
— Pardon de te déranger, maître, dit Bertrem d’une petite voix, mais j’ai trouvé devant la porte un jeune homme mourant.
Un jeune homme est en train d’agoniser devant notre porte.
— Demande-lui qui il est, dit Astinus sans cesser d’écrire, pour que je puisse le noter. Assure-toi de l’orthographe de son nom. Essaie aussi de savoir d’où il vient et quel âge il a, s’il en est encore temps.
— Je sais son nom, maître, répondit Bertrem. Il s’appelle Raistlin et il vient de Solace, en Abanasinie.
Après avoir consigné les renseignements, Astinus posa sa plume et leva les yeux.
— Raistlin… de Solace ?
— Oui, maître, dit Bertrem, s’inclinant devant l’historien qui avait daigné le regarder. Ce nom te dit-il quelque chose ? J’ai pris la liberté de te déranger parce qu’il a demandé à te voir.
— Ce Raistlin… Où est-il ?
— Sur les marches du perron, maître. Nous avons pensé qu’un des nouveaux guérisseurs qui se disent adeptes de la déesse Mishakal pourrait lui venir en aide…
— Aucun d’eux ne peut guérir le mal qui l’affecte, répondit l’historien d’une voix grave, mais fais-le entrer et donne-lui une chambre.
— Le faire entrer dans la bibliothèque ? s’étonna Bertrem. Personne n’y est jamais admis en dehors de ceux que tu…
— Je verrai cet homme si j’ai le temps en fin de journée, poursuivit Astinus comme s’il n’avait rien entendu. S’il est encore de ce monde.
— Bien, maître, murmura Bertrem en se retirant.
L’Esthète arpenta d’un pas rapide les vestibules de marbre de l’antique bibliothèque. Son crâne chauve luisait de sueur. L’incident troublait le rythme paisible auquel il était habitué. Stupéfaits, les autres membres de son Ordre le virent se diriger vers la porte.
— Il faut le faire entrer, leur dit Bertrem. Astinus veut le voir ce soir, s’il est encore vivant.