Une courte distance les séparait de la colonne aux joyaux. Caramon lâcha Berem, espérant trouver une échappatoire, du moins pour lui. Que Berem rejoigne sa fantomatique sœur. Tout ce qu’il voulait, c’était sortir d’ici et retrouver Tass et Tika.
Ses doutes balayés, Caramon reprit du poil de la bête et avança. Dans quelques minutes, tout serait fini… d’une manière ou d’une autre…
Une lumière intense l’éblouit. Son cœur cessa de battre. Tout doucement, sa vision s’accoutuma à la lumière. Il vit deux yeux en forme de sabliers qui brillaient sous un capuchon noir.
Les trompettes avaient cessé de sonner et un semblant de calme était revenu dans la Salle du Conseil. Les spectateurs, y compris la Reine Noire, avaient les yeux rivés sur les acteurs du drame.
La Couronne dans la main, Tanis se releva. Il ignorait ce que signifiait la salve de trompettes. Ce qu’il savait, c’est qu’il jouerait le jeu jusqu’au bout, aussi amère soit la fin.
Laurana… Il ne pensait qu’à elle. Où que fussent les autres, il ne pouvait rien faire pour les aider. Les yeux fixés sur la jeune femme en armure d’argent, il aperçut Kitiara, debout à côté d’elle, le visage dissimulé derrière son heaume. Elle lui fit signe.
Tanis sentit un mouvement derrière lui, comme le passage d’un courant d’air froid. Le seigneur Sobert approchait…
Tanis recula, serrant plus fort la Couronne. Il savait qu’il lui serait impossible de lutter contre un adversaire d’outre-tombe.
— Halte ! cria-t-il, tenant la Couronne à bout de bras devant lui. Arrête-le, Kitiara, ou je la jette dans la foule.
La face de Sobert imita un sourire. Il avança vers Tanis, la main tendue. Si le spectre le touchait, le demi-elfe était mort.
— Crois-tu vraiment pouvoir m’échapper ? susurra Sobert. Il me suffit d’un geste pour te réduire en cendres, et cette Couronne roulera à mes pieds.
— Seigneur Sobert, cria une voix, que celui qui a conquis la Couronne me l’apporte !
Sobert hésita. La main toujours tendue vers Tanis, il se tourna vers Kitiara.
Elle n’avait d’yeux que pour le demi-elfe.
Campée devant lui, elle retira son heaume, découvrant son visage écarlate d’excitation.
— Tu m’apporteras la Couronne, n’est-ce pas, Tanis ?
— Oui, je te l’apporterai.
— Gardes, escortez-le ! Le premier qui osera porter la main sur lui mourra de mes mains. Seigneur Sobert, veille sur lui.
Le chevalier fantôme baissa lentement le bras.
— Soit, mais c’est lui le maître, ma dame, dit-il avec un rictus sardonique.
Il marcha vers Tanis. Quand il l’eut rejoint, le demi-elfe sentit son sang se glacer dans ses veines. L’assistance vit l’étrange duo se diriger vers les marches.
Les officiers d’Akarias, qui attendaient au bas de l’escalier, arme au poing, s’écartèrent sur leur passage. Leurs regards meurtriers en disaient long.
Les gardes de Kitiara les entourèrent. Précaution inutile : la présence du spectre éloignait plus sûrement la foule qu’une armée de soldats. Tanis transpirait d’angoisse sous son épaisse armure. Ainsi, c’était cela le pouvoir ? Porter la Couronne et régner sans partage, mais vivre avec la crainte permanente d’être poignardé dans le dos ?
Le seigneur Sobert et le demi-elfe arrivèrent au pied du serpent géant. Du haut de la passerelle, Kitiara suivait la scène d’un air triomphant. Tanis grimpa les échelons jusqu’à la tête du reptile et prit pied sur la passerelle. Son regard croisa celui de Laurana. Le visage fermé, elle regarda la Couronne, et détourna ostensiblement la tête.
Kitiara s’élança vers lui, bras grands ouverts. La foule l’acclama.
— Tanis ! Toi et moi sommes vraiment faits pour régner ensemble ! Tu as été magnifique ! Je te donnerai tout ce que tu veux…
— Même Laurana ? demanda froidement le demi-elfe.
Ses yeux plongèrent dans les prunelles sombres de Kitiara.
Elle jeta un coup d’œil à Laurana, aussi pâle et impassible qu’une statue.
— S’il n’y a que ça pour te satisfaire, fit-elle en haussant les épaules. (Elle approcha au plus près de lui.) Tanis, je suis à toi ! Le jour, nous dirigerons l’armée et nous régnerons sur le monde ; nos nuits n’appartiendront qu’à nous, Tanis, dit-elle en lui caressant la barbe, pose la Couronne sur ma tête.
Ses yeux étincelaient de passion et d’excitation. Elle se pressait contre lui avec ardeur. Autour d’eux, la foule était en délire. Tanis leva la Couronne et… la déposa sur sa propre tête.
— Non, Kitiara ! cria-t-il pour que tout le monde l’entende. Un seul régnera nuit et jour, et ce sera moi !
Des rires éclatèrent, ainsi que des vociférations. Sur le visage de Kitiara, la surprise céda la place à la fureur.